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La graphorrhée du monoblogue
21 novembre 2013

Nostalgie

L'autre jour, je suis passée devant mon ancien job, alias GrandHôpitalDeFous. Je regardais les bâtiments familiers, me remémorant les patients que j'y avais croisés. Tous ne m'ont pas laissé trace, mais une grande partie d'entre eux, néanmoins.

Et puis je le vois, lui, passer la grille. Titubant, l'air hagard, il fait s'écarter les passants. Il bave un peu, à cause des traitements, mais il essuie ça rapidement du revers de la manche de son sweat azur, constellé de tâches marron dégueulasse, à force de jouer ce rôle. Il regarde autour de lui, il n'a pas l'air de trop savoir où il va. Est-il en fugue ? Peut-être, peut-être pas. En tout cas il a l'air pressé, il marche dans la même direction que moi, je suis quelques mètres derrière. Puis, brusquement, il tourne à angle droit et traverse la rue, grande artère à trois voies, et manque de se faire écraser. Mais c'est comme s'il ne le remarquait pas. Un long filet de bave s'étire jusqu'à son épaule et macule son sweat, complétant le patchwork.
Il monte sur le trottoir d'en face. Il s'arrête net, penche légèrement son buste en avant, il semble fixer sa basket droite. En fait il fixe tout court, pendant une dizaine de secondes. Puis il se remet en marche, essuyant son éternel filet de bave.

J'associe.
Trois semaines avant, je l'ai croisée elle, en ville. Une grande fille (1m80) qui faisait près de quatre-vingt dix kilos lorsque je l'ai connue hospitalisée. Là, elle semble en peser soixante, à peine. Elle est perchée sur des plateformes de douze centimètres, elle porte une minijupe panthère qui découvre ses jambes couvertes de bleus, et arbore un maquillage qui ferait passer Nicki Minaj pour une petite rigolote. Elle fait carrément la tronche jusqu'à m'apercevoir : son visage s'illumine d'une folie que je n'avais pas vu depuis longtemps. Elle crie mon prénom et vient presque m'embrasser. Je l'avais remarquée dans la foule, mais je mets un temps pour la reconnaitre. A ma question "comment allez-vous ?", elle me répond, euphorique, "super bien !", puis tourne aussitôt les talons comme si je n'avais jamais existé, allant porter sa folie et sa fragilité ailleurs... Avec d'autres gens sûrement moins bienveillants.

Quelques semaines après mon départ de GrandHôpitalDeFous, j'étais passée dire bonjour à mes anciens collègues, ceux qui y sont restés.
J'avais retrouvé l'odeur, les couleurs des murs, le silence intermittent entre les crises, les transmissions entre deux portes, l'humour défensif face aux situations extrêmes.
J'en étais ressortie nostalgique.
Mais c'est sûrement parce que je n'y suis plus.

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Commentaires
M
Babeth réunit et connecte bien des univers, et je suis ravie que cela nous soit arrivé :)
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M
Bonjour,<br /> <br /> le hasard me fait découvrir votre blog. Enfin, ce hasard a un nom c'est le blog de babeth. Vous lire est un plaisir. Je connais bien cette Dame Nostalgie. J'ai quitté un hôpital surement similaire à celui que vous évoquez. Il m'a fallu beaucoup de temps pour pouvoir passer devant ses murs sans pincement au coeur.
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