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La graphorrhée du monoblogue
9 juin 2015

Juliette

Juliette est jeune, elle n'a pas encore passé la vingtaine. Elle n'est pas très grande, elle fait peut-être moins d'un mètre soixante. Toujours vêtue d'un jean boyfriend et d'un haut - pull ou t-shirt selon la saison - couleur passé - que ce soit un taupe grisonnant, un rose terne ou un vert morne.

Elle trimballe toujours le même sac à main, un sac d'étudiante en simili cuir avec de grosses boucles en fer, assez grand pour contenir ses livres d'études.

Le sac, elle le garde contre elle en entretien. Elle ne le pose jamais nulle part, ni par terre, ni sur la table. Il reste serré contre son flanc, ou ramené sur ses genoux. Si bien que je ne peux jamais entrevoir ce qu'il contient.

Son visage est petit, rond comme une bille, avec en son centre un nez très court, un peu trop retroussé pour être seulement mutin. Elle a des yeux bleus, délavés et tristes, et elle essuie invariablement ses larmes lorsqu'elle commence à parler. Sa voix est traînante, sableuse, et, déjà, à travers ce timbre, je perçois une certaine porosité.

Elle est inscrite en faculté mais ne parvient pas à se rendre en cours, ou rarement. Elle m'explique qu'elle prend le bus tous les matins, déterminée à arriver jusque dans l'amphithéâtre. Quand elle descend à son arrêt, il lui reste dix minutes de marche jusqu'à son lieu de cours. C'est là qu'elle fait presque toujours demi-tour, angoissée, voire paniquée à l'idée de franchir la porte, à la simple pensée du regard que porterons ses camarades sur elle, à ce qu'ils diront d'elle, entre eux.

Elle rebrousse donc chemin, parfois elle marche tout le trajet, alors qu'elle à déjà mal aux jambes, et arrive chez elle une heure et demi plus tard. Le plus souvent, elle prend la résolution de travailler les cours qu'elle a ou obtenir sur internet : elle s'installe à son bureau, décidée à faire ses fiches.

Et c'est là que les pensées arrivent. Ces pensées tournent toujours autour du même sujet : son avenir qu'elle est en train de gâcher, sa vie qu'elle a déjà presque ratée. Parce qu'elle n'arrive pas à aller en cours. Parce que ses amis la rejettent : ils la regardent mal, selon elle, alors elle a décidé de cesser de leur parler - depuis, elle est seule. Parce qu'elle n'arrive pas à prendre soin de son corps : elle voudrait aller à la salle de sport, elle a d'ailleurs déjà payé son abonnement, mais elle est incapable de passer la porte, ici encore, en voyant à travers la vitre les "jeunes" qui sont à l'intérieur, et qui la dévisageraient à coup sur si elle entrait. Car sa mère ne l'aime pas, elle lui crie dessus, parfois même, elles se frappent. Juliette m'explique que sa mère fait exprès d'entrer dans sa chambre lorsqu'elle n'est pas là, qu'elle touche ses vêtements. Juliette est alors obligée de laver ces vêtements, ne pouvant supporter l'idée que sa mère ait posé ses mains dessus.

Cela fait quelques mois que je vois Juliette quand elle me dit que l'image qu'elle voit dans le miroir n'est plus normale. Ce n'est plus elle qu'elle voit, elle a changé, elle ne se reconnaît plus. Alors, tous les jours, elle se lève, déjeune, s'habille, et une fois devant le miroir, elle peut rester quelques minutes à se contempler avant de retourner dans sa chambre se déshabiller, poser ses affaires et se recoucher.

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