Changements
Chers lecteurs, cela fait pile six mois que je n'ai rien posté ici, et je reçois quand même au moins une visite quotidienne : malgré votre pudeur que je discerne dans votre réticence à laisser des commentaires, je suis très touchée que vous vous égariez encore un peu par ici.
Je vais essayer de reprendre un peu le fil des choses. Il y a eu pas mal de changements ces derniers temps. J'ai changé de services, notamment : un "s" à "service" car j'en ai arpenté plusieurs, et je crois que je n'ai pas terminé de bouger.
Le service qui m'accueille en ce moment est beaucoup plus "calme", il y a moins de crise, et donc, plus de chronicité (chez les soignants, j'entends). Cela a un côté assez agréable : chacun sait ce qu'il a à faire, les choses se déroulent sans que rien ne vienne les perturber, la plupart du temps. Les temps de pauses (vingt minutes d'affilée minimum pour huit heures de travail consécutives, si je me souviens bien) sont respectés et peuvent être prolongés lorsque rien ne bouge. L'équipe est constituée, pour une grande partie, de gens qui sont là depuis plus de dix ans, qui se connaissent bien, dans le travail autant que dans leurs personnalités respectives. Même les recrues les plus récentes sont très bien intégrées, à condition d'en raconter un minimum sur soi.
Mais voilà, mon arrivée dans ce service ne s'est pas faite sans malentendus, et sans rentrer dans les détails, je n'ai pas été intégrée dans l'équipe comme un élément lambda. Beaucoup de questions m'ont été posées, ajoutez à cela que je n'ai aucun penchant à me raconter d'emblée devant des gens que je ne connais pas - et qui par leurs questions spontanées et impudiques me sont radicalement antipathiques (en attendant de mieux les connaître).
C'était pour la partie "associale" de ma non-intégration.
Heureusement, ou malheureusement, je ne sais pas trop, il m'a été reconnue une certaine capacité d'analyse et donc de travail constructif. Cela provoque autant l'attrait que le rejet de la part de mes collègues, et ce n'est peut-être pas si mauvais que ça à savoir pour la suite. Un encadrant de stage m'avait dit, au cours de ma formation (une fois qu'il avait capté que je penchais plutôt du côté "analyse" voire "psychanalyse") : "il faut toujours avancer masqué". Il n'a peut-être pas tort. On vous demande toujours un avis, quand ça marche, tout l'équipe se félicite, quand ça ne marche pas, vous êtes montré du doigt. Enfin bref.
Le côté positif de la chose, c'est que ça me fait une place dans l'équipe sans que j'aie à raconter ma petite vie (même si j'ai toujours l'obligation d'entendre celle de chacun dans les moments de pause, et en ayant toujours l'impression d'être indésirable au milieu des conversations personnelles). Le côté négatif, c'est que j'ai l'impression d'être le borgne au royaume des aveugles - et pourtant d'habitude la modestie m'étouffe vraiment. Cette sensation, je l'ai quand je compare mes anciens collègues avec les nouveaux. Enfin, une partie de mes anciens collègues - ceux avec qui, quand on travaillait ensemble, j'avais l'impression de vraiment bosser, d'aller au fond des choses, de tenter des choses. Dans cette nouvelle équipe, il n'y a pas vraiment de prise d'initatives, les choses se disent, se redisent et se répètent des semaines durant, les mêmes choses, pour les mêmes patients, sans que rien ne se passe du côté soignant : une impression cruelle d'inertie. Loin de moi l'idée d'un "activisme" avec prise d'une décision différente tous les matins, mais juste, au moins, qu'on parle tous ensemble (on a ce luxe de pouvoir se réunir et penser, ce qui n'existe pas vraiment en service de crise !) du "cas", qu'on aille un peu au fond des choses et qu'on se mette d'accord sur une direction à suivre, tous. Qu'on arrête de faire chacun à sa manière faute d'objectif.
Je ne connais rien de plus frustrant que de réentendre exactement les mêmes transmissions qu'on avait soi-même faites en quittant le travail pour deux jours consécutifs de repos.
Bon, je balance, je balance, mais c'est bien fait pour ça ici aussi. Il y a le côté "formateur" des choses. Mais bon, je suis encore un peu verte pour me résoudre à arriver au boulot, prendre un café et parler de mon week-end avec mes enfants aux collègues.
Nous verrons bien. Je relirais ces lignes dans dix ans, et peut-être que je me rendrais compte d'autres choses. Sûrement, d'ailleurs.